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 Le salaire de la peur

 

LE FILM
Le Salaire de la peur est une adaptation cinématographique du roman du même nom de Georges Arnaud paru en 1950. L'action se situe quelque part en Amérique Centrale (sans doute au Guatemala), dans une ville nommée Las Piedras. Dans ce bled perdu sont rassemblés divers individus excentriques, étrangers qui se sont retrouvés là pour des raisons obscures (certains sont des criminels qui ont été déportés). Tous - en particulier Mario (Yves Montand) et Monsieur Jo (Charles Vanel) - s'ennuient à mourir dans ce trou miséreux et cherchent à s'enfuir, et pour cela sont à la recherche de l'argent qui pourra favoriser leur départ. L'occasion leur sera donnée lorsqu'une compagnie américaine qui exploite un puits de pétrole dans la région réclame quatre volontaires pour transporter un chargement d'une tonne de nitroglycérine sur cinq cents kilomètres, avec une récompense de deux mille dollars au bout. Une mission suicide, un voyage périlleux qui sera évidemment ponctué de multiples incidents.
Le film est divisé en deux grandes parties : la première, sous forme de drame ou d'étude psychologique à résonances politico-sociales, esquisse avec lenteur les personnages principaux, leurs caractères, et les relations d'amitié, de haine, de rivalité et de jalousie qui se tissent entre eux. La seconde partie, beaucoup plus accélérée, prenante et enlevante, épouse la forme d'un road movie apocalyptique ponctué de moments de tension et de scènes spectaculaires qui n'épargne en aucun moment le spectateur.
A travers cette trame qui emprunte aux motifs les plus classiques du film d'action, Henri-Georges Clouzot explore les thématiques essentielles de son oeuvre : les faiblesses et les tares de l'individu, essentiellement la lâcheté, l'hypocrisie et l'égoïsme de l'homme, qui se manifestent par sa cruauté, sa mesquinerie et sa propension au mensonge, tout cela vu sous le prisme de la camaraderie masculine qui en prend ici joyeusement pour son rhume (et qui dissimule à peine de forts relents d'homosexualité refoulée). La force de l'univers de Clouzot réside dans l'acuité de l'exploration psychologique des personnages, qui sont à la fois très typés (représentatifs des éléments clés du film noir) et en même temps pourvus d'une humanité, de faiblesses et de contradictions qui les rendent à la fois attachants et crédibles mais aussi repoussants et répugnants. La qualité des dialogues - incisifs et noirs, pleins d'une cruauté et d'un cynisme tonifiants - y est aussi pour beaucoup dans la réussite du film qui présente une vision de l'humain des plus pessimistes et glauques.

LES DIFFةRENTES VERSIONS DU FILM
La version originale du Salaire de la peur s'étend sur plus de 150 minutes : un véritable film-fleuve ! Malheureusement, il existe différentes versions amputées qui circulent, surtout au Amérique. La version courante (diffusée à la télé et disponible dans certains clubs vidéo) fait 130 minutes, mais attention certaines copies ne font qu'à peine une heure quarante ! Nul besoin de dire qu'avec presque une heure en moins, on visionne un film très différent de l'original en rythme et en complexité psychologique.
Les arguments souvent évoqués pour justifier l'existence de ces versions écourtées sont justement appuyés sur la question du rythme du film : pour plusieurs, la version originale de Clouzot consacre trop de temps au développement psychologique des personnages et allonge inutilement la première partie du film, jugée "lente" et introductive au véritable sujet du film (le transport de la nitroglycérine). Les partisans de cette version écourtée privilégient ainsi l'aspect road movie et film d'aventures du film, sa seconde partie en fait. Or le film possède également toute une dimension psychologique mais aussi politique qui en font toute la qualité. Et c'est dans le politique justement que les coupures se sont effectuées. Dans Le Salaire de la peur, Clouzot affiche effectivement et sans ambages une critique féroce de l'impérialisme américain et de ses effets destructeurs sur l'environnement et les populations indigènes (tiens, tiens, quelle actualité !). La compagnie de pétrole américaine est décrite dans le film comme tyrannique (traitant la population locale comme du bétail), ses dirigeants présentés comme corrompus et manipulateurs, n'hésitant pas une seconde à sacrifier la vie de nombreux hommes pour leurs intérêts économiques. Curieusement, ce sont ces scènes jugées comme de simples manifestations de propagande antiaméricaine qui ont été retirées pour le marché... américain.
Heureusement, la réédition DVD du film effectuée récemment par Criterion Collection, maître en la matière, reproduit la version intégrale, director's cut, du film. Nous pourrons donc redécouvrir le film dans son intégralité et juger par nous-mêmes de la portée et de la pertinence de ces scènes qualifiées de vulgaire propagande antiaméricaine.

 
 

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